mercredi 2 avril 2014



    Muray aura détesté avec délectation notre époque, son hygiénisme, son technicisme, son pacifisme, son festivisme, son droit-de-l’hommisme, tous les jolis prétextes sous lesquels elle abrite son inculture, son oubli du passé, et plus encore : sa démission, sa panique devant le devoir d’être humain, d’assumer les vieux démons de l’homme et sa blessure constitutive. Il l’aura dit inlassablement, infatigablement, avec une éloquence et une vigueur qui l’égalent aux plus grands polémistes.

    Pourtant, et même lorsqu’un certain jeu médiatique a cherché à l’y réduire, Philippe Muray n’était pas le bougon de service, le « réac » toujours disponible, le ronchon authentifié. Lui qui haïssait les rebelles professionnels et autoproclamés, ne s’est pas résumé à la posture symétrique. Quand on aura lu, vraiment lu Philippe Muray, on découvrira bien mieux que ça. On découvrira un écrivain, descendant en droite ligne de Balzac et de Flaubert, de Voltaire et de Léon Bloy. Le travail unique et obstiné de Philippe Muray a consisté à élever, face au discours enveloppant et omniprésent de notre époque, un contre-discours, un rempart, une réponse. Une réponse inlassable. Intarissable. Précise. Au scalpel. Son oeuvre est un monument littéraire, et littéraire d’abord. Un formidable parapet, une digue, contre un seul péril en définitive : la pollution du langage. Non, Philippe Muray n’était pas un chroniqueur, un éditorialiste, un faiseur de tribunes ! C’était un écrivain. C’était une voix. Chapeau bas, s’il vous plaît.

    Ceux qui le réduisaient à un rôle d’idéologue, ceux qui voulaient l’enfermer dans un rôle de fournisseur de discours, n’ont sans doute pas lu Minimum Respect, un recueil de poèmes parodiques, ironiques, dans lequel cet homme plein de pudeur et d’élégance, qui n’a jamais accepté d’afficher son coeur en bandoulière, laissait en creux passer le plus vrai de lui-même : la passion.
François Taillandier