vendredi 20 septembre 2013

PHILLIPE SOLLERS EST MORT.......PHILIPPE MURAY EST VIVANT




    Incroyable cette interview (ici) de Philippe Sollers. Incroyable de suffisance. « La providence m’aidant… ». Incroyable de banalité également. « J’ai anticipé le fait que la lecture allait disparaître ». Quel nez ! « On assiste au triomphe du capitalisme financier. » Quel pouvoir d’analyse !
Il n'y a plus de littérature mais je continue à éditer nombre de jeunes auteurs talentueux....etc...etc...

    Cela pourrait porter à rire, du moins jusqu'à la question fatidique posée par la perspicace journaliste : « Regrettez-vous d'avoir publié certains auteurs, comme Marc-Édouard Nabe ou Philippe Muray ? » Je retranscris sa réponse telle quelle : « Pas du tout. J’ai publié le meilleur texte de Muray, Le XIXe Siècle à travers les âges. Le problème, c’est quand il a voulu faire des romans inaboutis qui n’ont pas marché, puis il s’est très mal entouré, des gens comme Elisabeth Lévy, Aude Lancelin. Marc-Edouard Nabe avait quelque chose, puis ça a été un suicide. Stéphane Zagdanski aussi. Leur problème, c’est qu’ils ont eu une mauvaise vie. La mauvaise vie, les mauvais partenaires, on ne s’en rend pas tout de suite compte, mais après les sanctions tombent : la maladie, la marginalisation, on devient sous influence… Chez Muray, ça a été catastrophique. » En gros et si je comprends bien, Philippe Sollers insinue que Philippe Muray est tombé malade et qu'il est mort parce qu'il s'est mal entouré et qu'il a cessé d'être édité par Philippe Sollers, qui avait, dans tous les cas, édité son meilleur livre.
Philippe Muray est mort d'un cancer du poumon à l'âge de 60 ans parce qu'il fumait comme un pompier ! Si l'on considère que l'échec conduit à la maladie, alors qu'en est-il de Pierre Desproges, de Jacques Brel et j'en passe? Et qui est-il, ce Sollers, pour juger de ce qu’est une bonne ou une mauvaise vie ?
    D'ailleurs, la réponse ne se fait pas attendre puisque le magazine Causeur, dirigé par Élisabeth Lévy justement, a l'excellente idée de publier chaque mois un extrait du journal de Philippe Muray que je reproduis ici :
« 5 décembre 1985. Ce que veut Sollers, je le comprends enfin, je le savais depuis toujours, ce n’est pas être un grand écrivain, ça ne lui suffit pas. Ce qu’il veut, c’est être le dernier écrivain. Qu’après lui il n’y ait rien. Son aventure, selon lui, ne prendra tout son sens qu’à cette condition. Ce qu’écrivent les autres, si ça ne concourt pas à la réalisation de ce projet, est nuisible. C’est un danger, ou au moins un retard, un atermoiement inutile. L’ennui est que, plus timidement, dans mon coin, avec infiniment moins de moyens (d’où ma discrétion), je pense la même chose. Son agressivité destructrice s’explique par là. Le besoin de maintenir sous sa surveillance n’importe qui, du moment qu’il sent un peu d’originalité virtuelle. La nécessité d’être en éveil tout le temps, jour et nuit. Épuisant probablement. La haine maladive. La gentillesse aussi, la générosité soudaine, comme une surprise qu’il se fait à lui-même. La nécessité, la fatalité de n’avoir plus autour de lui que des larbins obscurs ou des cons célèbres sans aucun danger. La rage folle consistant à jouer l’un contre l’autre tous les écrivains, tout le temps (Roth pour écraser Kundera, en ce moment ; Jean Rhys contre O’Connor à cause de mon penchant, ces derniers mois, pour elle). N’importe quel écrivain, vivant, mort. Tout ça doit disparaître. Vue de l’extérieur, subie péniblement, son attitude est absolument nihiliste. La nullité de ce qu’il publie maintenant dans sa revue et sa collection est également logique. Puisqu’il doit être le dernier. »

    Et quant à moi je préfère fréquenter un mort toujours vivant comme Philippe Muray, plutôt qu'un vivant déjà mort comme Philippe Sollers.